Formation apicole à Kédougou
Alors qu’en 2016 j’étais allée jusqu’en Mauritanie pour réaliser une formation d’initiation à l’apiculture, cette année je me suis engagée dans la formation d’un groupe de jeunes de Kédougou, une petite ville située au Sud-est du Sénégal, là où les collines rocheuses donnent un peu de relief à ce Sénégal si plat.
Forte de mon expérience mauritanienne, cette formation ne me fait pas peur. Pourtant l’enjeu est de taille. En effet, il s’agit d’une formation professionnelle destinée à des jeunes de la région qui ne sont plus dans le circuit scolaire classique. Autrement dit, il s’agit d’une vraie formation s’étalant sur plusieurs mois et visant à valoriser l’apiculture comme un vrai métier. Rien que ça !
Pour cela, j’ai dû travailler en collaboration avec l’Institut Supérieur d’Etudes Technologique Appliquées (ISETA) et son dynamique directeur Mamadou Boye Diallo. Diallo, je le connais depuis longtemps, depuis mes débuts à Tambacounda lorsque je n’avais pas encore internet à la maison et que je devais me rendre dans son Cyber pour me connecter en 512k sur des ordinateurs douteux aux claviers farceurs… quelle époque ! Bref, depuis tout ce temps, j’ai fait le chemin que vous connaissez, et Diallo de son côté a créé une école à Tambacounda, rien que ça ! Son idée était de donner aux jeunes de la région une opportunité de formation locale en favorisant la formation professionnelle et des filières d’avenir… informatique (son domaine), comptabilité, mais aussi agriculture, élevage… Avec à la clé un diplôme reconnu par l’état : BTS, CAP, Licences professionnelle…
Cette année, ISETA a reçu un appui conséquent du Ministère de la formation professionnelle à travers son programme 3FPT qui a octroyé une série de bourses pour les étudiants. C’est ainsi que nous avons pu initier la filière apicole, qui devrait aboutir en un Certificat de Spécialité reconnu par l’Etat. Une première au Sénégal, car si les formations dans le domaine de l’apiculture ont été fréquentes depuis des décennies, elles ne se sont jamais adressées spécifiquement aux jeunes, avec une démarche de professionnalisation et de reconnaissance au niveau national. Le travail est donc énorme, et devra notamment conduire à la création d’un curriculum du Certificat de Spécialité en apiculture, qui garantira que l’étudiant aura acquis toutes les compétences essentielles de son métier.
Cette année également, ISETA s’est agrandie et vient de créer une antenne à Kédougou, ville natale de Boye Diallo, en partenariat avec Docteur Guiro, pharmacien de son état. C’est donc là-bas que nous avons constitué un premier groupe d’étudiants apiculteurs, qui seront entre mes mains jusqu’à fin mai.
Le contexte étant posé, je vais donc vous compter ma première semaine en tant que « Madame » la professeure d’apiculture…
Tout d’abord, après un parcours laborieux de 230km de vielle route en nid de poule, j’arrivai à Kédougou en 7-places et fut accueillie par M. Diagne, Directeur des études à ISETA Kedougou, étonnant sérère exilé dans cette contrée lointaine pour la bonne cause. Il m’aura d’ailleurs inlassablement accompagné tout au long de la semaine entre les différentes salles de cours et mon lieu d’hébergement, à bord de sa vieille volswagen déglinguée qui avait la particularité de klaxonner en permanence. Sa voiture n’en était pas moins équipée d’un lecteur-radio dernier cri, relié en bluetooth à un smartphone rutilant, permettant de passer en continu et à fond les cageots la bonne vieille musique préférée de M. Diagne. A savoir la totale des Beatles, de Simon and Garfunkel, de Dire Straits, de Crosby Stills Nash and Young… Ce qui n’était pas pour me déplaire tant pour le côté nostalgique que pour l’incongruité de la situation.
Ainsi escortée j’ai donc découvert mon groupe d’étudiants, présenté par Soumaré, le président du Conseil régional de la jeunesse. Une trentaine de jeunes âgés entre 16 et 26 ans, d’ethnies peuls, bassari, bédik et malinké, et de niveau scolaire variable, allant du BFEM (diplôme d’entrée en 6e) au Bac. Beaucoup de garçons, mais aussi heureusement quelques filles. Il est vrai que tous n’avaient pas mis la spécialité apicole en premier choix, car le nombre de places par filière était limité et que certains cursus nécessitaient d’avoir au moins le bac. Je m’y attendais et je pensais même que j’aurai des désistements…
Mais j’eus la surprise d’avoir un très bon taux de présence du premier au dernier jour, mis à part quelques soucis d’horaires classiques. J’eus aussi la surprise d’avoir un groupe motivé, n’ayant pas peur de participer en classe, et globalement sage. Mis à part le dernier jour lorsque j’eus la mauvaise idée de sortir mon mémory des abeilles pour faire des révisions ludiques… le jeu tourna alors en une espèce de tournoi de catch assourdissant, les deux équipes s’accusant mutuellement de tricherie. On ne m’y reprendra plus ! Pourtant, j’aurai dû me méfier depuis mon expérience des jeux de cartes avec les écogardes de Koussan…
Même si la première semaine était plutôt théorique et nécessitait une forte présence en salle avec power point et compagnie, nous avons tout de même pu réaliser deux sorties nature. La première était une sortie botanique au bord du fleuve Gambie, où chaque étudiant avait la tâche de ramener une fleur différente, afin de comparer les pièces florales de retour en salle. A cette occasion, nous eûmes la chance d’observer quelques abeilles butiner (ouf, l’honneur est sauf !), mais aussi de croiser les traces d’une récolte de miel sauvage avec le feu, ou encore des bergers transhumants coupant les branches d’un arbre magnifique afin de nourrir son bétail. De quoi nourrir mon futur cours de préservation de l’environnement…
La deuxième sortie fut plus intense et permis aux étudiants d’avoir un premier contact avec les abeilles et les ruches. En effet, nous partîmes de bon matin de l’autre côté du fleuve afin de visiter le rucher d’un grand apiculteur local, Tamba Boubane, mieux connu sous le doux nom de Victorin. Les délais pour la formations étaient tels que nous ne pouvions pas attendre d’installer les ruches, de les peupler et de les récolter. Il nous fallait donc un apiculteur local expérimenté qui accepte que les étudiants viennent manipuler ses ruches. Victorin accepta immédiatement, tout ému que l’on pense à lui, et touché que l’on veuille former les jeunes de la région. Lui aussi avait jadis bénéficié d’une formation, qui lui permis de pratiquer l’apiculture au sein d’un groupement de 7 apiculteurs. L’objectif de cette sortie n’était bien sûr pas d’ouvrir les ruches, mais de se familiariser avec les abeilles et d’interviewer un professionnel.
En conclusion, cette semaine fut pour moi très enrichissante, car elle me permit de rencontrer de nouveaux apiculteurs avec qui échanger, mais aussi de mettre à l’épreuve mes compétences pédagogiques. J’ai beaucoup apprécié de m’adresser à des jeunes directement en français. Dans mes expériences précédentes, je me faisais constamment traduire en langue locale, et je faisais donc moins attention aux termes que j’employais. De plus, les traductions diminuaient le temps disponible et j’étais souvent obligée de faire court. Là il me fallut être précise, écrire au tableau les termes inconnus, spécifier « C’est important, notez » lorsque je voyais l’attention diminuer. C’était un peu comme un retour au collège, mais là c’est moi que l’on appelait Madame. Ça ne nous rajeunit pas…
Rédigé par Claire CLEMENT